Les parcours urbains de la transition alimentaire

À Bellevue, le parcours longe des grands ensembles mais aussi de nombreux espaces verts, vestiges d’une seigneurie médiévale qui comprenait autrefois bois, pâtures, terres cultivées et jardins. La vocation agricole du coteau survit aujourd’hui grâce aux jardins familiaux du Bois de la Musse, un des plus anciens et des plus grands sites de jardins familiaux nantais : 70 parcelles réparties sur plus d’un hectare, au centre d’un des principaux quartiers d’habitat social de Nantes. Dès les années 1950, le secteur accueille également des lieux d’aide aux populations précaires. La crise sanitaire et économique ayant accentué la précarité alimentaire, de nouvelles initiatives citoyennes voient le jour, comme le Marché Alternatif de Bellevue. Né pendant le premier confinement, co-géré par des associations, des habitants, l’équipe de quartier et le CCAS de Nantes, il permet la distribution de paniers alimentaires à plus de 500 familles du quartier.

Le parcours se poursuit dans le quartier de Chantenay. Au XIXe siècle, l’industrie devient le nouveau moteur de l’économie nantaise, remplaçant le commerce portuaire : chantiers navals, savonneries, industries chimiques mais aussi industries agro-alimentaires s’installent le long de la Loire. Des légumes continuent d’être cultivés sur le coteau pour alimenter les conserveries. Au début du XXe siècle, des brasseries se développent ainsi que des usines de limonade, soda et jus de fruits. À partir des années 1960, la désindustrialisation pose la question du devenir de ce patrimoine bâti et de ces compétences. L’exemple de la micro-brasserie Little Atlantique Brewery montre que les anciennes usines peuvent non seulement être réhabilitées avec une approche environnementale, mais également servir de support à un retour du savoir-faire local dans le domaine de la transformation alimentaire.

Dans les années à venir, c’est l’ensemble du quartier Bas-Chantenay qui va être profondément transformé : d’ici 2030, 3 kilomètres de rives seront aménagés dans l’objectif de renouer avec la Loire.

Sur l’Île, la transition alimentaire rejoint les questions sociales et sanitaires. Support à la lutte contre l’exclusion, elle est au cœur de l’ambitieux projet des 5Ponts : un « village solidaire » qui accueille, entre autres, un restaurant-traiteur avec dispositif d’insertion, une ferme urbaine et un marché participatif. C’est aussi sur l’Île que se trouve l’espace Agnès Varda, un lieu multi-services pour les personnes fragiles, né en 2020 du regroupement entre le restaurant social Pierre Landais et les Bains-Douches municipaux.

Le parcours se poursuit dans le « quartier de la création » : un cluster d’entreprises, d’écoles et d’établissements de recherche dédié à l’innovation culturelle. En son cœur, les anciennes halles Alstom, qui accueillent notamment l’École des Beaux-Arts, sont un exemple de conservation et de réhabilitation du patrimoine industriel de l’Île. Leur aménagement, commencé en 2011, s’est poursuivi jusqu’en 2022 avec la création d’un food hall. Le dynamisme de l’Île attire en effet de nombreux entrepreneurs de l’alimentation durable : restaurateurs, boulangers, pâtissiers, fromagers… et même une laiterie urbaine !

Le parcours rejoint ensuite le Parc des Chantiers, chef-lieu du rayonnement culturel de Nantes. Sous les Nefs ont été installés l’atelier de construction et la galerie d’exposition des fameuses Machines de l’Île. S’y déploie aussi chaque année le Grand Marché des Pays de la Loire qui rassemble plus d’une centaine de producteurs régionaux !

Ce parcours plonge d’emblée dans l’histoire alimentaire de Nantes, avec la tour LU, vestige de la grande usine de la marque de biscuits bien connue, ou encore le marché couvert de Talensac, le plus vaste de la ville, inauguré en 1937 à l’emplacement des anciens abattoirs municipaux. Il révèle aussi les vestiges de la présence de l’eau en ville, qui a longtemps été indispensable pour le transport des marchandises et s’est amenuisée au fil des comblements et du creusement des canaux sous-terrains, mais dont on redécouvre aujourd’hui l’utilité face au réchauffement climatique.

Ce parcours montre également que les nouvelles problématiques alimentaires, liées à la résilience, à la sensibilisation, à l’accessibilité, deviennent visibles en cœur de ville. Aux abords du Château des Ducs de Bretagne, les Stations Gourmandes (des vergers urbains pourvus de tables de pique-nique) et les Paysages Nourriciers (une opération née pendant le premier confinement et pérennisée depuis, qui a permis de récolter 22 tonnes de légumes pour des publics précaires en 2020) gérés par les jardiniers municipaux confèrent aux espaces verts une nouvelle dimension, à la fois pédagogique et nourricière.

L’ouverture de nouvelles épiceries et restaurants écoresponsables qui privilégient l’approvisionnement en vrac et en circuit court, et le retour en centre-ville de magasins de produits frais (crémeries, boucheries, primeurs) attentifs à la qualité et à l’origine, sont les signes d’un changement sociétal. Le centre historique de Nantes accueille de nombreuses initiatives solidaires d’ampleur locale, régionale ou nationale, telles que le programme Le Carillon de l’association La Cloche, un réseau de commerçants qui proposent des services ou des repas aux personnes en situation de grande précarité.

Ce parcours, enfin, rend manifeste certains défis de la transition alimentaire : le développement de la livraison et de la vente à emporter, la gestion des déchets, l’homogénéisation et diversification concomitantes de l’offre alimentaire, l’important renouvellement des enseignes…

Le Jardin des Plantes, face à gare, pose d’emblée la question de la place de la biodiversité en ville. Mêlant de plus en plus fonctions ornementales, nourricières et pédagogiques, c’est à la fois une vitrine du travail des jardiniers municipaux pour les voyageurs et une opportunité de découverte de la flore et de la faune pour les habitants.

En traversant les voies, on arrive sur l’ancienne prairie de Mauves, une zone inondable où l’on faisait paître les troupeaux en été, exempte de constructions jusqu’à l’arrivée du chemin de fer à la fin du XIXe siècle puis la création d’une cité HLM dans les années 1960. Une démarche de renouvellement urbain englobant la cité et les environs de la gare est entamée en 2001 pour ouvrir Malakoff sur la ville. À l’est du quartier, il s’est agi d’apporter de nouveaux équipements et de restructurer l’espace public pour dépasser les frontières naturelles, urbaines, mais aussi mentales. À l’ouest, l’opération Euronantes prévoit la création d’un quartier d’affaires autour de la gare : l’édification de bureaux et logements s’accompagne du développement d’une offre commerciale et de restauration pour les travailleurs et nouveaux habitants.

Suivant le mail Pablo-Picasso, devenu un axe structurant, le parcours traverse des commerces alimentaires qui portent des valeurs de proximité, d’inclusivité et de convivialité et (ré)activent ainsi les liens sociaux. Au bout, la Petite Amazonie, un reliquat de la prairie de Mauves, abrite une biodiversité d’une grande richesse pour un site inséré dans le tissu urbain.

Depuis l’Antiquité se croisent sur la Loire les marchandises venues de l’Atlantique (sel, produits de la mer…) et celles qui descendent de l’intérieur des terres (orge, houblon…). Le parcours débute sur le quai de la Fosse, construit au XVIe siècle, qui prend une importance considérable dans l’économie locale aux XVIIe et XVIIIe siècles avec le commerce triangulaire : on y débarque le sucre, le café, le cacao… Ces produits influencent les pratiques culinaires de la bourgeoise avant de se diffuser à l’ensemble de la société, et d’être à l’origine de nouvelles industries (confiserie, biscuiterie…).

L’histoire commerciale et industrielle des berges nantaises est donc fortement liée à l’alimentation. On y trouve les salorges (entrepôts à sel) sous l’Ancien Régime. Au début du XIXe siècle, c’est là que s’installent les conserveries et les brasseries. Aujourd’hui, le panorama et la fraîcheur apportée par l’eau sont revalorisés. Le Jardin extraordinaire, situé dans l’ancienne carrière de Miséry, a notamment reçu le Grand Prix des Victoires du paysage en 2021. Sur les hauteurs, le quartier Sainte-Anne vibre au rythme des événements portés par son association de commerçants, qui comprend épiciers, cavistes et restaurateurs.

En traversant la pépinière en plein air du Quai des Plantes, le parc municipal des Oblates et ses jardins familiaux ou encore les ruchers de la Maison de l’Apiculture, ce parcours révèle aussi une recrudescence de l’attention portée à la biodiversité en milieu urbain, qui implique la municipalité, les acteurs privés et les citoyens.